La réparation du préjudice peut-elle être limitée en raison de la prédisposition pathologique de la victime ?

L’état antérieur de la victime peut entraîner des conséquences sur son droit d’indemnisation, puisque le responsable d’un dommage n’est tenu de prendre à charge que les conséquences imputables au dommage qu’il a causé.

Cependant, il est de jurisprudence constante pour la Cour de cassation de considérer qu’en vertu du principe de réparation intégrale du préjudice de la victime, il n’est pas possible de réduire son droit d’indemnisation en raison d’une prédisposition pathologique, lorsque celle-ci est provoquée ou révélée par le fait dommageable (Cass. civ 2ème 10/11/2009 n°08-16.920 ; Cass. civ 2ème 04/04/2016 n°14-27.980 ;Cass. Crim 14/10/2020 n°19-84.530).

Un rappel de ce principe a à nouveau été opéré par la Cour de cassation dans un arrêt du 16 septembre dernier.

Dans l’affaire en question, une victime d’un accident de la circulation souffrant de douleurs persistantes non apaisées par des traitements médicaux, est diagnostiquée avec un syndrome de défilé thoraco-cervico-brachial (compression des nerfs et des vaisseaux sanguins dans la région entre le cou et les épaules), impliquant une intervention chirurgicale.

La victime assigne l’assurance du conducteur responsable de l’accident aux fins que soit reconnu le syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial comme une conséquence directe de l’accident. Demande à laquelle il est fait droit par la Cour d’appel, qui ordonne au titre de la réparation intégrale du préjudice, la prise en charge de cette conséquence dommageable de l’accident.

L’assureur se pourvoit alors en cassation en évoquant la prédisposition pathologique de la victime concernant une affection respiratoire, déjà présente avant l’accident et ayant induit l’intervention chirurgicale. En effet, plusieurs rapports d’experts établissent que la pathologie était présente chez la victime, mais asymptomatique sinon sans douleurs, cependant la décompensation du syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial de la victime constituait une conséquence directe de son accident de la circulation. D’autres experts écartent le lien de causalité entre l’accident et le syndrome.

Le principe de réparation intégrale du préjudice est contesté par l’assureur qui estime que le lien de causalité entre l’apparition du syndrome et l’accident est incertain.

Pour rejeter la demande de l’assurance, la Cour de cassation énumère plusieurs constats opérés par la Cour d’appel :

  • Les douleurs correspondant au syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial ne sont apparues chez la victime qu’après l’accident, syndrome qui a d’ailleurs été mis en évidence postérieurement au dommage alors que les douleurs ne disparaissaient pas avec les traitements habituels ;
  • L’anomalie du défilé thoraco-cervico-scapulaire de la victime (en l’espèce une côte surnuméraire cervicale gauche), était connue depuis son enfance, son médecin traitant attestait qu’elle ne donnait lieu ni à des douleurs, ni ne nécessitait de traitement;
  • Les experts qui ont écarté le lien de causalité n’ont pas expliqué en quoi le syndrome était apparu moins d’un an après l’accident, alors que l’anomalie connue de la victime avait été asymptomatique, ou tout du moins non douloureuse pendant 36 ans.

Pour la Haute juridiction, « en l’état de ces constatations et énonciations, la cour d‘appel, qui a souverainement apprécié la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, a pu déduire, hors toute dénaturation, sans inverser la charge de la preuve et sans violer le principe de la contradiction », que le syndrome dont souffre la victime ayant nécessité une intervention chirurgicale et qui avait été révélé par le fait dommageable, à savoir l’accident de la circulation, est une conséquence directe de celui-ci.

Ici la deuxième chambre civile se borne à rejeter toute limitation du montant de la réparation du préjudice compte tenu de l’existence de prédispositions pathologiques connue de la victime, car aucune manifestation gênante de celles-ci ne s’est manifestée préalablement à l’accident.

Référence de l’arrêt : Cass. civ 2ème 16 septembre 2021 n°19-26.014